Deïnos
Cet été à NaturalPad, on a eu une stagiaire de SupInfogame. Célia Gironnet devait écrire une nouvelle sur le désir.
Après quelques échanges de références, on en est venus à co-écrire.
Grosse référence à Gunnm.
Deïnos – un désir inachevé
Deïnos habitait un vieil appartement au cœur de la banlieue du bloc #274.
En sortant de l’appartement, il tient un enfant par la main. L’enfant est blond et ses grands yeux bleus sont le reflet de son désir de découvrir le monde, partir d’ici loin de la décharge.
Deïnos est de taille moyenne, a les cheveux noirs bouclés, une barbe pointue poivre et sel mal taillée et des yeux noirs. Ils descendent les trente étages qui les séparent du sol et prennent un taxi. Sur le chemin, l’enfant compte les voitures de police qu’ils croisent, fonçant à toute vitesse dans le sens opposé. La porte était restée ouverte et un voisin a dû entrer dans l’appartement. La route sera longue. L’enfant découvre les rues du bloc, lui peut se remémorer toute cette histoire.
Le bloc #274 était réputé comme étant la plus grande zone industrielle cybernétique de toute la région. C’est au centre qu’avait lieu toute la production. La banlieue, elle, servait de dépôt pour tous les déchets provenant des usines. Entre les bâtiments d’une cinquantaine d’étages, des zones entières où s’amoncelaient débris mécaniques, électroniques ou humains. Toute sorte de trafics s’organisaient autour de ces zones : les habitants étaient pour la plupart désœuvrés, pauvres et cohabitaient avec la crasse et la vermine. Beaucoup n’avaient pas la chance d’avoir un appartement et dormaient à même la rue. Pour survivre, certains fouillaient ces zones à la recherche de pièces encore utilisables dans l’espoir de pouvoir les revendre au marché noir.
Deïnos vivait seul chez lui. Ses revenus lui permettaient de vivre convenablement, sans excès. Il était mécanicien. La plupart du temps il réparait ce qu’on lui apportait : robot ménager, simulateur de réalité virtuelle, et une kyrielle d’autres objets cybernétiques indispensables, certains même peu avouables. Il allait tous les jours à la décharge récupérer des pièces sur des objets jetés. Ce qu’il aimait surtout, c’était la biomécanique, les cyborgs.
Il aimait le mélange de la chair humaine, chaude et malléable avec la dureté et la froideur du métal. Trifouiller les organes, naturels et artificiels, ça, ça le passionnait. Mais il lui manquait quelque chose ; un objectif, un projet, un accomplissement. Deïnos était en vérité un homme malheureux. Il était introverti, il ne savait pas communiquer et il n’était pas sûr de vouloir le savoir. Il n’avait ni ami, ni famille, ni amour, et il n’avait pas souvenir d’en avoir déjà eu. Pourtant, son désir était de transmettre ce qu’il savait, toutes ces connaissances accumulées, tout ce savoir. Il lui fallait quelqu’un à qui l’enseigner : il voulait un enfant. Pour pouvoir se reproduire, il était prêt à dépasser son handicap social, il allait trouver une femme.
Élever un enfant dans cette banlieue n’était pas chose aisée. Aucune structure ne prenait en charge leur éducation qui revenait intégralement à la charge des parents. Un enfant revenait cher et la plupart finissaient par être refourgués au marché noir pour que leurs organes soient vendus. Souvent, ils finissaient comme esclaves sexuels ou servaient à récupérer du matériel dans les endroits les plus exigus de la décharge. Mais Deïnos avait confiance, s’il avait un enfant, pour rien au monde il ne le vendrait, et il lui apprendrait à survivre dans cet univers cruel.
Des femmes, il y en avait beaucoup dans les rues du bloc #274. Des prostituées, des mendiantes, des miséreuses mais aussi des travailleuses, acharnées, revanchardes, qui survivaient à force de volonté et qui rêvaient de s’en sortir. Des rêveuses, oui, c’est bien le meilleur terme pour les nommer parce que personne ne sort vraiment de la décharge. Quand on habite à la décharge, on est un déchet pour la vie. On a beau essayer d’avoir la classe, bien se saper et avoir des goûts de riche, c’est du fiel qui coule dans nos veines. Deïnos avait conscience de ça. Il était de la décharge, pourri de l’intérieur, et il trouverait à la décharge une femme tout aussi pourrie de l’intérieur.
Pourtant, il n’avait jamais osé aborder l’une d’entre elles. « Démarrer une conversation est probablement ce qu’il y a de plus difficile », cette pensée le rassurait. Une fois qu’il saurait faire le premier pas, le reste viendrait tout seul.
Tous les soirs il se rendait au bar de la décharge, juste en bas de chez lui. C’était un vieil établissement. L’alcool avait des vapeurs d’essence et coûtait un bras. La clientèle comprenait un échantillon de poivrots, voyous, voleurs, et petites frappes qui arpentaient les rues, harcelant mendiants et prostituées. Mais ce bar abritait un trésor. Sibelle, la serveuse, portait fort bien son nom. Elle était considérée comme la plus belle femme non cybernétique de la région. Elle avait des cheveux blonds qu’elle regroupait en chignon. Des mèches folles tombaient devant ses grands yeux bleus rieurs. Elle ne cessait jamais de sourire. Les premières fois il ne la considéra que comme un outil, la femme idéale pour procréer. Et puis, petit à petit, il s’y attacha. Il l’observait naviguer d’un pas léger entre les tables, fasciné par le mouvement de ses hanches. Il se surprit même à devenir jaloux de ceux auxquels elle souriait. Un soir, il s’était décidé, il allait le faire. Il avait mis ses plus beaux habits, avait taillé sa barbe et ses cheveux et apportait un bouquet de fleurs synthétiques de première qualité. Arrivé au bar, il se dirigea directement vers elle et lui tendit les fleurs d’une main hésitante. Elle les accueillit avec un sourire et rougit. Il passa une partie de la soirée accoudé au bar en lui parlant de tout et de rien, il ne pouvait plus s’arrêter. Elle riait à ce qu’il lui disait tout en servant les clients. Quand Il sortit, il avait un sourire éclatant sur le visage. Il avait parlé à une femme.
Malheureusement pour lui, Deïnos était attendu au coin de la rue. Ivres, ils tenaient des planches de bois et des barres de fers ramassées dans la décharge. Apparemment, son bouquet n’était pas du goût de tout le monde. Le chef de la bande était un habitué du bar, il considérait la serveuse comme sienne et voulait couper court au désir ridicule de Deïnos. Et ridicule, Deïnos l’était sûrement, baignant dans son sang après qu’il ait été piétiné. Ses agresseurs avaient particulièrement insisté sur son entrejambe, comme si ils avaient voulu briser tous ses espoirs de reproduction.
La douleur le réveilla. Allongé dans une ruelle derrière le bar, les vêtements gorgés de sang, il ouvrit difficilement les yeux. Sibelle était penchée sur lui. Choqué et honteux, il la repoussa d’un geste brusque, se releva en titubant, fit quelque pas sans se retourner pour s’effondrer à nouveau quelques mètres plus loin dans une autre ruelle. Il se réveilla avec le soleil, du sang séché autour de la bouche. La rue grouillait déjà de monde. Personne ne l’avait remarqué, après tout, ce n’était qu’un déchet de plus. Il se traîna le long des façades d’immeubles, prenant appui à chaque pas, jusqu’à son appartement. Deïnos se coucha et resta allongé un long moment. Ses pensées étaient amères et son corps le lançait en permanence, lui rappelant ce qui s’était passé la veille. Il prit une grande décision ce jour-là, il créerait seul sa descendance.
Il revenait chez lui le sac rempli de pièces rares qu’il avait trouvées dans la décharge. Il savait où chercher. Il les testait et quand une pièce était en bon état il l’intégrait dans l’œuvre de sa vie : sa descendance. Il s’était mis en tête de créer un être à son image, un prolongement de lui-même. Il voulait, à travers cet être, prolonger sa propre existence.
Il y passa toutes ses nuits, allant à la décharge le soir, tard, récupérer des pièces. Etant bio-mécanicien, il n’eut pas de mal à faire la coque, un peu de ferraille, un peu de chair. Des cyber-cerveaux, il en avait déjà monté. Au bout de seulement quelques mois, il put l’activer. En face de lui l’automate ouvrit de grands yeux et examina chaque recoin de la pièce, il ne parlait pas ou s’exprimait seulement par onomatopée. Il observait son créateur pendant que celui-ci continuait son travail. L’activation du robot avait redonné un élan de joie à Deïnos, il se sentait heureux et travaillait sans relâche. Tout en bricolant, il apprenait les rudiments du langage à son chef-d’œuvre. Bientôt, l’armature complète fut terminée et le robot prononçait quelques mots. C’était un esprit d’enfant dans un grand corps. Son rêve s’accomplissait. Ce avec quoi il eut le plus de mal fut la peau et les cheveux. Ils devaient être strictement identiques aux siens. La pigmentation s’avéra difficile, il dut utiliser une greffe de sa propre peau, associée à de la pâte synthétique pour obtenir le résultat qu’il désirait. Après plusieurs essais, l’automate avait enfin son aspect définitif. Il termina son œuvre, rajoutant chaque grain de beauté, chaque cicatrice aux endroits qui convenaient, puis il recula et admira son fils.
La création du robot lui avait pris en tout un peu moins d’un an. Celui-ci lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Pour ce qui était des capacités physiques, Deïnos avait veillé à ne prendre que des composants d’exception. Il avait ainsi créé un robot surpuissant et quasiment indestructible.
Il se mit à tout lui apprendre. L’automate sut lire et écrire au bout de seulement deux mois. Il apprit également les sciences, mais aussi l’art, l’histoire et la politique. Ce que ne savait pas Deïnos, l’automate l’apprenait au travers d’ouvrages téléchargés sur le réseau. L’automate était heureux, au début, il aimait apprendre. Mais Deïnos lui, devait continuer son travail de réparateur pendant la journée et son fils restait dans la partie privée de l’appartement quand les clients arrivaient. Dans un premier temps, les livres et le réseau lui suffirent lorsqu’il était seul. Mais il dévorait ces ouvrages à une vitesse inimaginable pour un humain et il n’eut vite plus rien à lire. Sur le réseau il faisait des rencontres, il discutait et ça lui donnait envie d’avoir un contact, un vrai rapport physique avec la personne et surtout, d’aller à l’extérieur voir le monde. Il se mit à regarder les gens par la fenêtre et écouter les bruits de la rue, les alarmes, les cris, la violence. Sa vue lui permettait de voir avec suffisamment de détails ce qui se passait en bas. Regarder par cette fenêtre et imaginer sa vie dans la rue devint son occupation principale. Il voyait Deïnos aussi, chaque fois qu’il devait sortir chercher une pièce à la décharge il passait dans son champ de vision. Et il repéra vite son comportement étrange, chaque fois qu’il passait devant le bar de la décharge. Il s’arrêtait pendant quelques minutes à distance puis repartait. Le robot tournait en rond dans l’appartement. Au bout de 6 mois, il avait atteint la maturité d’un enfant de douze ans, et il commençait à tenir tête à son père. Il se mit à réclamer le droit de sortir. Il était bien sûr impensable qu’il sorte de jour, ayant exactement le même physique que Deïnos. Celui-ci finit cependant par lui céder le droit de sortir la nuit. Après tout, son fils était solide. Quelques mois passèrent encore et le fils de Deïnos gagnait en maturité et en savoir. Ses sorties nocturnes le confrontèrent à la violence du bloc #274 et il apprit à se battre. Cette violence le comblait. Pendant un temps, elle lui permit de remplir le vide qu’il ressentait : quelque chose qu’il sentait chez son créateur mais que lui n’avait pas. Deïnos continuait d’améliorer son protégé. Il se débrouillait toujours pour trouver des pièces de rechange de meilleure qualité. Les séances d’entretien de son fils étaient, avec les cours qu’il lui prodiguait, ses rares moments de proximité. Dès que possible, son fils fuyait arpenter les rues. Deïnos tentait de discuter avec lui mais se faisait rembarrer sans aucune forme de politesse. Quelque chose clochait. Il ne savait pas quoi et il était incapable de converser avec son fils. Une nuit, alors que celui-ci était sorti, Deïnos fouilla sa chambre. La maison n’était pas grande mais il avait aménagé une partie de son atelier pour en faire une petite zone d’intimité pour son fils avec un matelas ; il n’en avait pas réellement besoin mais Deïnos voulait qu’il ait une vraie chambre ; un vieux bureau et une petite bibliothèque. Il fut ému un instant. Et puis, il vit une malle en métal rouillé qu’il n’avait pas apportée. Plus il s’approchait plus il la sentait. Cette malle dégageait une odeur forte, une odeur de mort. Il l’ouvrit et vit son contenu, horrifié. Une collection de cœurs dont certains commençaient à pourrir. Il referma violemment la malle retenant une nausée. C’est à cet instant qu’entra son fils. Il avait les avant-bras couverts de sang. Deïnos était furieux.
– Qu’est-ce que tu fais quand tu sors ? Tu tues des gens ? C’est ça ? Tu es un assassin ? J’ai créé un assassin ? C’est quoi dans cette malle ?
– Mes trophées.
Deïnos ne s’attendait pas à une réponse. Et celle-ci ne le calmait pas.
-Mais pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ?
-Je ne sais pas, je voulais savoir comment c’était un cœur qui bat…
Il s’approche de son père, l’attrape par le cou comme pour l’étrangler et le soulève à bout de bras. Calmement, en le regardant se débattre droit dans les yeux, il lui annonce la simple et dure vérité :
– A quoi tu sers? Tout ce que tu sais je le sais. Tout ce que tu fais je le fais et en mieux. Tu es vieux, diminué, gras et déprimé. Tu ne sais pas vivre. Tu me dégoûtes. Je souffre que tu m’aies mis au monde et qu’il y ait de toi en moi. Je refuse de te ressembler et toute ma vie je me définirai par opposition à ce que tu es. Je ne connais ni le désir ni l’amour mais grâce à toi je connais le dégoût, la haine et la rage.
Il se souvenait de la première fois qu’il l’avait fait. C’était la troisième fois qu’il sortait. La première sortie avait été agréable. Il se sentait libre et se mit à courir dans les ruelles, c’était une nouveauté pour lui d’avoir autant d’espace. La deuxième nuit, il y était allé plus doucement et avait observé ce qui se passait autour de lui. Il avait vu des hommes qui titubaient, des femmes en tenue légère qui tentaient de l’aborder ou certains qui dormaient à même la rue, il était curieux, mais n’avait pas osé les approcher. La troisième nuit, par contre, il avait eu droit à un contact. Dans une ruelle, il avait entendu les plaintes d’une femme et s’était approché. Elle n’était pas seule. Un homme était sur elle et allait et venait entre ses jambes. Il resta là à observer un temps. Mais la femme finit par le voir et, prise de honte, se couvrit. L’homme remonta son pantalon et s’approcha hargneux.
– qui t’es toi ? Qu’est-ce que tu fais là ? Casses-toi.
Et l’homme se mît à le pousser. Sauf qu’on ne déplace pas si facilement un robot. Et là, ce robot venait de voir une chose qu’il ne comprenait pas : l’acte de reproduction. Il remarqua que les veines de l’homme étaient gonflées et battaient au rythme de son cœur. Et cet organe, il l’entendait battre. Et battre de plus en plus fort. Il n’avait même pas remarqué que la femme s’était levée et rhabillée et qu’à son tour, elle le bousculait et lui hurlait dessus. Et il eut envie de faire taire ce cœur. En un mouvement, il arracha le cœur de l’homme. Puis il attrapa la femme par le cou alors qu’elle était épouvantée. Il voulut la ramener près de lui mais lui brisa le cou. Il avait alors un légume, un être inanimé dont seuls les yeux pouvaient encore bouger, exprimant encore tout son effroi. Et le plus beau, c’est que son cœur battait encore. Il prit son temps. Il déchira la chair et écarta les côtes de sa victime pour pouvoir observer l’organe dans son milieu. Le cœur battait sous ses yeux. Les autres organes autour aussi étaient en action mais il ne se concentrait que sur le cœur qu’il regarda ralentir jusqu’à sa mort.
C’est sur ce souvenir qu’il décida de ne pas tuer son père. Il lui brisa la colonne et l’abandonna dans cette condition de légume. Il partit pour le bar de la décharge. Il savait qui était à l’origine du désir de procréation de son père. Il ne lui restait qu’à tuer l’objet de ce désir. Il entra dans le bar de la décharge. Comme toujours, aucune réaction. Ici il n’y a que des déchets. Les rebuts des rebuts de la société. Alors un de plus ou de moins…
Personne ne le remarqua. Il s’avança d’un pas lent jusqu’au centre et regarda autour de lui. Il scanna de ses yeux les gens du bar et fit son choix. Accoudé au comptoir, il y avait ce vieil homme qui fixait son verre. Il s’assit à côté de lui. Le vieil homme se redressa légèrement, saisit son verre et le but d’une traite. Puis, après l’avoir reposé, il se tourna et le fixa de ses yeux humides. Il y avait de la tristesse dans son regard. Un vieil homme en bout de parcours. L’archétype du sage pour qui le temps n’a plus d’importance et qui attend la mort. La mort se tenait devant lui et il l’avait senti. Le robot plaça sa main derrière la tête du vieil homme comme dans un geste de tendresse. Ils se fixèrent et, d’un coup sec, il lui brisa la nuque. Pendant un instant, le corps resta immobile puis le robot enleva sa main et il chut sur le sol avec fracas. A ce moment, la serveuse se mit à hurler et les hommes se levèrent. Une silhouette massive s’avança vers lui :
-J’crois qu’t’as un problème.
Et l’homme décocha un crochet du gauche. Le robot saisit sa main sans effort. L’homme força mais il ne put ni avancer son poing ni s’échapper de sa prise. D’autres approchaient doucement mais n’osaient pas vraiment le toucher. Ils l’encerclaient mais gardaient une certaine distance de sécurité. Le robot plia son poignet et brisa sèchement celui de son adversaire. Il le lâcha et celui-ci s’effondra à genoux en pleurant. L’automate posa alors la main sur son crâne et serra. L’homme hurla jusqu’à ce qu’on entende un énorme craquement. Les autres étaient terrorisés mais n’eurent pas le temps de fuir. Il les chargea avec un grand sourire, dans une furie meurtrière. Il tournoyait au milieu des hommes et des corps. A chaque coup, il perforait un corps de part en part et les cadavres s’amoncelaient sur le sol. Quand sa furie s’estompa, tous étaient morts. Il ne restait plus que la serveuse effrayée, planquée derrière le bar. Sa respiration l’avait trahie. Il plongea sa main derrière le bar, l’empoigna par les cheveux et la souleva. Elle hurlait et se débattait et quand tout espoir l’eut abandonnée, elle se relâcha et se laissa aller à pleurer. C’est là qu’il frappa. Il perfora ses côtes et saisit son cœur. Ses yeux étaient exorbités et sa bouche grande ouverte figée par la douleur. Elle ne pleurait plus. Il ne lui arracha pas le cœur, pas tout de suite. Il le touchait, le sentait battre. Il le caressait même délicatement, détectant chacune de ses irrégularités, appréciant ses faiblesses. Il serra ses doigts et le contraint de plus en plus dans sa main. Il le sentait pousser encore un peu, essayer de faire son travail puis faiblir, abandonner et s’arrêter. Il lâcha la chevelure de la serveuse mais pas le cœur qui s’arracha tout seul sous le poids de la chute du reste du corps. Le cœur à la main, l’automate scruta une dernière fois l’ensemble du bar. C’était beau. Il y avait du sang partout et des corps inanimés. Seules les mouches commençaient à s’agiter. Et puis ce silence. L’automate prenait vraiment son pied. Il avait recherché cet état d’accomplissement, de travail bien fait. Mais en écoutant bien, ce silence cachait une respiration. Une petite respiration faible et discrète. L’automate fit le tour du bar et découvrit une trappe entre deux frigos. Il l’ouvrit et trouva un enfant blond de cinq ans.
L’enfant l’observa tendrement, tendit ses mains pour caresser son visage et finit par sourire. L’automate sourit également et le prit dans ses bras : il allait combler son propre désir de transmission. Il ferait de cet enfant un guerrier parce que la violence, c’est ce qu’il n’avait pas appris de son père. Il allait juste passer chez Deïnos arracher un dernier cœur avant de partir.
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