infinite monkey

Dans les exercices de la masterclass de Bernard Werber y a celui du tarot. En gros, un tirage de tarot avec une certaine façon de lire les cartes qui aide à démarrer une histoire. Ca fixe des contraintes sur le personnage, le rebondissement principal, la chute de l’histoire. C’est juste un outil pour aider à démarrer. Infinite Monkey c’est une nouvelle écrite à partir d’un tirage de cartes.

Il est 15h25, dans 5 min, je vais avoir le rendez-vous le plus important de ma vie. Après 6 mois de due diligence, 3 ans à tout risquer sur ma startup, infinite monkey, à avoir mis tout ce que j’avais, à emprunter, me porter caution, quitter ma compagne, vendre tout ce que j’avais, ne plus avoir de temps pour mes amis et ma famille alors que je les ai tous fait investir dans ma boîte, Alphabet, le fond d’investissement de Google va enfin me dire si oui ou non ils achètent ma boîte pour plusieurs millions. 

Si c’est oui, je suis riche, toute ma famille et mes amis sont riches. On aura révolutionné le monde de l’édition, on aura changé la définition de ce qu’est un livre. Si c’est non, je suis endetté à vie et je n’aurai plus le courage de regarder mes proches en face, ceux qu’il me reste. Détesté de tous, je serai cité comme l’arnaqueur de la décennie, celui qui a voulu tuer le métier d’écrivain et prouver que la créativité n’a aucune chance face au calcul, aux ordinateurs et aux algorithmes.

Le stress est à son comble, je ne peux rien faire de plus, les dés sont lancés, je me suis mis sur le fil, en équilibre. Maintenant j’attends de voir vers où le vent souffle. Pour la plupart, cette situation serait insupportable. Pour moi, elle est nécessaire. J’ai besoin de tout risquer pour me sentir vivant. 

Je sais exactement comment tout a commencé, à quel moment j’ai décidé de mettre en jeu mon égo contre mon éthique. A la fac, je voulais être le meilleur, je voulais majorer en algorithmique et je voulais plaire à Julie. La plus belle fille de l’amphi et une amie de longue date. Julie et moi on révisait ensemble, je passais mes après midi chez elle à l’aider sur ces exercices, lui expliquer Dijkstra et les chaînes de Markov. Je sentais mon ego me pousser tous les jours, me dire vas-y embrasses la, dis-lui qu’elle te plait, que tu veux sortir avec elle. Mais voilà, Julie avait déjà un mec et mon éthique me freinait. Mon calcul était le suivant, si je gagne, je sors avec la fille de mes rêves mais je n’aurai fait preuve d’aucune éthique. Sinon, je perds une amie et probablement que son mec me casse la gueule. J’ai rien fait, comme un lâche. Julie est devenue instit, son mec et elle sont partis s’installer dans le nord de la France et je ne les ai plus jamais revus. 

J’ai continué mes études, j’ai fait une thèse sur l’utilisation d’humains comme ressources computationnelles, cette idée de faire produire de la valeur aux utilisateurs à leur insu. A cette époque, Google utilisait les captcha pour différencier les humains des bots. En réalité, une grosse partie des captcha étaient des caractères de pages scannées et déformées par l’arrondi de la reliure du livre. Trop compliqués à faire reconnaître par un algorithme, Google avait eu la richissime idée de faire reconnaître ces caractères déformés par des humains sans leur dire. Les utilisateurs pensaient passer un test de Turing pour accéder à un service dont ils étaient clients alors qu’ils travaillaient gracieusement pour le projet Google Books de numérisation de tous les livres.

Et puis un jour, j’ai eu des nouvelles de Julie. Sa soeur m’a envoyé une invitation pour ses funérailles. En rentrant de soirée, son mec bourré avait planté la voiture. Aux funérailles, sa soeur m’a demandé pourquoi je n’étais jamais sorti avec Julie. Elle m’aimait et avait attendu que je lui dise. Elle n’osait pas le quitter mais si j’avais osé, elle m’aurait aimé. J’ai vomi, je suis rentré chez moi m’enfermer dans ma déprime. J’ai pris la décision de toujours tenter ma chance. On était en pleine bulle des startups du web. J’aimais beaucoup lire et je rêvais d’avoir la bibliothèque universelle numérique avant Google. Et j’ai eu cette idée : l’ensemble des livres que l’on peut écrire d’une longueur n de caractères est un ensemble fini. Un bon algorithme peut générer l’ensemble des livres ayant existés, existants ou même, ceux qui ne sont pas encore écrits. Ok, ça génère beaucoup de livres inutiles ou inintéressant et il faut faire le tri, mais le bon algorithme peut me générer la bibliothèque universelle avant que Google n’ait scanné tous les livres.

Je me suis lancé dans l’aventure, j’ai tout risqué et j’attends le verdict. SI je gagne, je suis riche. Si je perds, je pars en ermite clandestin jouer au pachinko à Tokyo.

Un métier passion

Cette année je me suis inscrit à une masterclass en ligne de Bernard Werber. Si comme beaucoup j’ai aimé les fourmis, j’ai surtout adoré les thanatonautes. Et puis Bernard Werber m’a toujours semblé être quelqu’un de bienveillant donc j’ai supposé que ses conseils en écriture seraient agréables à suivre. Suivre cette masterclass pendant quelques mois m’a permis d’adopter une bonne discipline d’écriture. L’une des nouvelles écrite pendant cette période a même été publiée sur Kobo. C’est celle que je vous partage ici. Elle était soumise à une contrainte de taille et devait démarrer par la phrase : je crois que j’an entendu du bruit sous le lite. Et terminer par la phrase : et c’est pourquoi je pars à New York.

Pour la version publiée, Virgile Paultre m’a fait une jolie illustration que vous trouverez en fin de nouvelle.

  • je crois que j’ai entendu du bruit sous le lit.

Tom me regarde avec des yeux écarquillés et légèrement injectés de sang. Un curieux mélange de “je tiens à toi” et “putain Max tu fais vraiment chier”.

  • vers 3h, comme un bruit d’animal qui rampe. J’ai complètement flippé et ça m’a empêché de dormir.
  • c’est ça ton excuse pour ce matin ? Un rongeur qui t’a empêché de dormir ?
  • je sais pas si c’est un rongeur. J’ai pas osé regarder.
  • tu te fous de ma gueule ! 3 fois cette semaine que je t’appelle du bureau pour te réveiller, que j’allume ton ordi et que j’organise un point café avec Kriss pour couvrir ton retard. Si Kriss te capte, fini le CDI. Et si il capte que je t’ai couvert, fini Tom. 
  • Je suis désolé.

10h du mat dans l’open space de Quitous, je code sur notre Battle Royal. Tom me fait la morale comme tous les matins. C’est un pote de longue date, on a fait 5 ans d’études ensemble puis il a intégré Quitous. Je suis parti faire une thèse. Mais après, j’étais surdiplomé pour trouver un taf dans le jeu vidéo en France. Tom m’a décroché un entretien. J’ai caché que j’étais bac+8. Je suis payé 1500€ par mois. Je bosse dans le jeu vidéo, un métier passion.

Je code le plus vite possible pour rattraper mon retard. Je me sens super mal. Tom est toujours à côté de moi en train de me fixer. Je regarde mon écran, concentré, espérant qu’il se lasse. Je crois qu’il attend une réaction de ma part. Je ne sais pas quoi dire. Moi aussi je tiens à ce que ce jeu soit bien, le meilleur même. Ca fait trois mois qu’on finit après 22h, qu’on bosse les week end, qu’on bouffe des sandwichs devant l’écran. Le crunch pour préparer l’E3 et sortir un nouveau pack de héros. Mes retards, ça me fait chier pour Tom, ça me fait chier pour l’équipe. Coupable de trop dormir et de laisser le boulot à d’autres, épuisés eux aussi. Tout le monde me couvre mais si Kriss pète un câble, tout le monde va vouloir sauver son job. Avec le stress on mesure les limites de l’amitié.

22h30, j’ai fini. Je viens de commit, demain ça passe en QA. Je peux aller m’en jeter un. Sur le trajet vers le bar j’appelle Tom pour lui partager la bonne nouvelle.

  • J’ai fini, Dim lance son putain de grappin et s’accroche partout. Je te retrouve au White Cat ?

Le White Cat c’est le repère de Quitous. Tous les soirs y a des mecs de l’équipe qui y boivent verre sur verre. Le patron guette pour nous qu’il n’y a pas de mouchards. On a déjà eu des cas de journalistes qui scoopent sur nos prochaines sorties, alors maintenant, on est méfiants.

  • Je suis à la maison là, Sophie en a marre de pas me voir.
  • Je passe à une épicerie de nuit et on s’en jette un chez toi alors ?
  • Allez, ça me va.
  • Et Tom, est-ce que je peux dormir chez toi ce soir ?

Sophie est adorable. Elle comprend tout à fait le stress de la dernière ligne droite en prod. C’est une ancienne graphiste mais à force d’heures supp à se cramer les yeux sur l’écran, elle a développé des migraines ophtalmiques. Obligée de quitter son job et se reconvertir. Elle se forme pour être forgeronne. Qui croirait qu’un ordinateur ça peut vous casser à ce point ? Sophie peut même plus jouer aux jeux qu’elle aime.

  • Tom m’a dit que t’avais un rongeur chez toi ?
  • J’ai tellement flippé que j’étais tétanisé dans mon lit. Comme quand j’étais petit. Je me suis mis à bader, à me dire : respires lentement, fais le moins de bruit possible. Si je l’entends à nouveau je lui saute dessus. Putain c’était quoi ce bruit ? C’est lui ou c’est moi ? C’est mon imagination ? et si c’est un alien qui attend que je sorte de mon lit pour me sauter au visage et pondre en moi ?
  • ahah, t’avais fumé ou quoi ?
  • tu rigoles, je touche pas à ça.

Je lui fais passer mon joint.

  • C’est pour ça que tu as demandé pour rester dormir ici, parce que tu flippes ?

L’avantage en dormant chez Tom, c’est qu’il a pas besoin de m’appeler pour me réveiller. Il ouvre les rideaux de son salon et je suis à l’heure pour la réunion surprise de Kriss. En général quand Kriss fait ça, c’est que y a un problème.

  • Frozen nous a doublé.

Kriss balance sur grand écran la dernière vidéo youtube d’annonce de Frozen. On découvre les 3 nouveaux héros de leur battle royal : Bim lance un grappin, Bam des ventouses, et Boum un téléporteur. Exactement la même chose que Dim, Dam, Doum chez nous. On va encore passer pour des suiveurs. Comment ils font pour sortir la même chose que nous juste avant nous ?

  • Y a une taupe. Et la direction m’a demandé de la débusquer.

Une chasse aux sorcières ! Cette journée est dégueulasse jusqu’à la fin. Personne ne se parle, on reste tous vissés à nos postes à coder sans s’adresser un regard. Kriss l’inquisiteur rôde dans l’open space. La QA m’annonce que l’idée du grappin a été abandonnée. Ce soir là, je rentre chez moi dégoûté. Il ne me reste qu’une seule chose à faire. Je me couche avec le balai à portée au bord du lit. 

Je suis réveillé. Le plafond est éclairé par la lueur de mon téléphone. Il est posé par terre comme d’hab. J’entends un rongeur qui se frotte les pattes. J’approche lentement la tête du bord du lit. Un rat avec une antenne sur le dos est en train de lire mes mails sur mon téléphone. D’un bond je me lève, j’allume et j’attrape le balai. La bestiole a disparu. J’ai pas rêvé, mon téléphone est allumé sur mes mails. On a reçu le nouveau projet de héros.

J’ai déposé ma démission. La presse a annoncé notre nouveau concept de héros. C’était un piège. On a tous reçu un concept différent et c’est celui qui m’a été transmis qui a leaké. Pour tout le monde, je suis la taupe. L’histoire du rat téléguidé qui lit mes mails n’a convaincue personne. Kriss et Tom ont tout fait pour me culpabiliser. Ce que j’ai fait est dégueulasse pour l’équipe, toutes ces heures supplémentaires jamais payées gâchées par ma faute. Je sens bien que cette idée est partagée par tout le monde. Des affiches Wanted Mort ou Vif avec ma face ont été placardées dans le couloir. Y a aucune chance que je retrouve du boulot en France. Dans le jeu vidéo, on est mieux traité aux Etats Unis. Et c’est pour ça que je pars à New York.

Illustration – rat téléguidé – par Virgile Paultre

Quelques shooters et quelques pintes

Dans la masterclass de Bernard Werber y a l’exercice de la balle de tennis jaune. Ecrire une nouvelle ou on maintient le suspens jusqu’à la fin. Pas complètement convaincu, je trouve qu’on voit venir la chute trop facilement. Mais je me suis bien amusé à m’inspirer de la série bloqués pour écrire ça.

J1 – 17h30

  • Ca va aller ? T’as l’air éclaté ?

Je suis dans le coltard. Pas dormi du We, long trajet avec le bus, l’avion puis le train. Cette bière avec mon poto me fait du bien. Y a pas à dire Tom c’est comme mon frère. On se connait depuis l’école primaire. Collège et lycée ensemble. Depuis la fac on s’est installé en coloc. Il est venu me chercher à la gare et on est allé se poser dans notre bar favori, que dis-je, on y est tellement souvent qu’on peut dire que c’est chez nous, c’est notre bar en fait. J’ai tellement pissé, vomi et baisé dans ces chiottes… enfin surtout pissé et vomi en fait. Parce que baisé, j’en parle plus que je ne le fais. Mais là pour une fois, j’ai bien donné tout le we. Ca valait le coup…

  • Oh ça va ? T’as l’air ailleurs.

Je lui réponds avec un sourire gếné.

  • C’est quoi ce sourire bêta ? Notes que t’as pas l’air moins fin que d’habitude mais fais pas cette tête en société sérieux. Ca en dit trop sur toi.
  • Bâtard.

On trinque et on tombe nos pintes cul sec, on s’en fout partout, c’est pas simple d’enchaîner un demi litre de bière en fixant l’autre dans les yeux. Pouah. Ca fait du bien quand même. Allez, faut enchaîner pour optimiser l’happy hour.

J1 – 21h

J’ai ma main sur sa cuisse.

  • Hey mec, mais tu as pas une copine toi ?

Elle me lance un regard blasé et elle se casse.

  • Putain Tom, toi t’es vraiment un pote.
  • Allez mec te plains pas, tu as baisé tout le WE. Faut pas que tu en fasses trop tu sais, c’est comme ça qu’on peut se faire un claquage. D’ailleurs tu m’as pas dit dans quel coin t’es parti ?

Je réponds d’un AHAH mécanique bien convenu histoire de souligner à quel point j’apprécie sa blague et je vide mon verre.

J1 – 23h

  • Tu sais Tom t’es comme un frère pour moi…
  • Ouais je sais, toi c’est un peu pareil. Tu sais le petit frère qui te fait perdre ton statut d’enfant roi unique, celui qui diminue ton quota de câlins et d’amour, celui à qui il faut montrer l’exemple. Allez finis ta biềre et bois ton shooteur qu’on enchaîne.

J2 – 02h30

On s’est fait sortir du bar. Comme d’hab, on a traîné autant que possible après la fermeture. On est partis avec 2 pintes en plastique chacun. Une finie devant le bar, l’autre à l’angle de la rue. Et là je gerbe dans la rue d’après. Putain faut que je respire. Je finis de me vider et je tourne la tête sur le côté. 

  • Tom, va pisser plus loin steplait. J’ai pas envie de voir ta bite.
  • Oh l’autre. D’où tu fais ton difficile là. Je te signale que c’est toi qui es venu gerbé à côté de moi.
  • Merde… c’est vrai ?
  • Ben ouai, tu te rappelles pas ?
  • Je me rappelle de rien…

J2 – 04h

Que j’aime ce canapé sérieux. On l’a trouvé dans la rue un jour. Il avait juste un pied pété et un coup de cutter dans un coussin mais on l’a recouvert d’une couverture et on lui a collé une cale en bois, il est comme neuf. Bon pas vraiment, mais il est super confortable.

  • Tom, tu nous fais des pâtes ?
  • Non, manger c’est tricher. Tiens je t’ai servi un pastis.
  • Un pastis ? 
  • Ouais on n’a plus rien de fort à boire à part ça. Désolé.
  • Faudrait faire des courses.
  • Quoi qu’est-ce quya ?
  • Ben des courses à 4h du mat…
  • J’irai demain.
  • Ah parce que t’as des thunes ? 
  • Non t’as raison.
  • Ben ouais monsieur claque tout pour aller se taper une meuf je sais pas ou. Tu sais y a des putes en bas de la rue ça te coûterait moins cher. J’espère que ça valait le coup au moins ?

Malaise …

J2 – 15h

J’émerge enfin. Je sais pas pourquoi j’ai mal au crâne. Je suis collé par la bave à mon oreiller. Je me redresse. Wouaw c’est dur. J’ai mal au bide aussi. 

J2 – 15h30 

Je sors de la salle de bain. Tom est dans le canapé. Il me regarde avec des yeux noirs et son air sérieux. J’ai rien raconté hier, non ?

  • Heu, salut ça va.
  • Je sais pas et toi ça va ?
  • Mal au crâne. Je me rappelle pas de ce qu’on a fait hier soir. Pas fait de conneries ?
  • Pas plus que d’habitude.

Je vais me servir un bol de céréales.

  • Tu fais un truc aujourd’hui ? Tu veux qu’on aille boire un verre ?
  • On est lundi.

Notre bar est fermé le lundi.

  • Ah merde …
  • Et faut que j’aille voir ma mère. Apparemment ma soeur a un mec.

Je fais tomber le paquet de céréales.

  • Putain t’es en forme ce matin. 

Je commence à regrouper les céréales en les poussant des pieds.

  • Non mais laisses ça va nourrir la souris.
  • Ah ouais t’as raison.

La vache ces yeux noirs, ça me fait toujours flippé.

  • Mais Max putain arrêtes d’être con. Bien sur que tu ramasses tout et t’en oublies pas sous le canapé comme la dernière fois.

Il prend sa veste et se casse.

J2 – 17H

Je viens de fumer un joint. En ramassant les céréales j’ai retrouvé une boulette sous le canap. Je pensais le garder pour fumer avec Tom mais bon j’étais stressé j’ai pas su me retenir, maintenant c’est pire je parano. Je suis en train de me bouffer les ongles devant une série à la con que je regarde pas vraiment. Je ferai mieux de me préparer à déménager mais pour ou ?

J2 – 22H

J’ai écrit 15 pages d’une lettre pour Tom, lui dire à quel point il compte pour moi. J’ai recouvert le sol de brouillons. Après les ongles, je me suis mis à me gratter le bras. Toujours les mêmes tics quand je stresse. Je crois que j’ai aussi des boutons sous les yeux. Mon téléphone bip. SMS de Tom.

“ma soeur est amoureuse. Ma mère m’a pris la tête. Je vais voir mon ex”

Je mets un peu de temps à comprendre que tout va bien. Tom n’a rien contre moi. Et si il va voir son ex, demain il pensera à autre chose. D’un coup tout est beau, la vie est belle je peux aller me coucher. Je suis éclaté et serein.

J3 – 17H

Retour au bar. Tom en a gros. Sa mère lui a pris la tête parce que sa soeur elle, elle s’est trouvée un mec, elle est amoureuse, elle est rangée, elle réussit ses études, bientôt elle sera riche. 

  • “elle au moins elle fait un truc de sa vie”. Putain sérieux maman, moi je fais rien de ma vie ?
  • Heu ben c’est un peu vrai quand même non ?
  • Je veux dire, à part boire des bières et casser le canapé on fait pas grand chose.
  • Putain toi t’es vraiment un ami. Bois ta bière qu’on prenne la suivante.

J3 – 18H

  • je veux pas faire le grand frère protecteur hein, mais si je croise son mec je crois que je le tape juste pour lui faire payer la prise de tête avec ma reum.
  • Ouais je t’aiderai aussi.
  • Par compassion fraternelle ?
  • Ouais et puis parce que j’aime bien ta soeur aussi. Je suis un peu jaloux.
  • Ouais ben tu la touches pas en tout cas. Elle est trop bien pour toi ma soeur.

Je bois ma bière.

  • Ok. Tu veux un shooter ?

J3 – 23H

  • Au fait, l’autre soir tu m’as raconté un peu comment c’était trop bien avec ton plan cul le WE dernier.

Je manque d’avaler ma bière de travers.

  • Je t’ai raconté quoi ?
  • ben pas grand chose, comme quoi c’est bien une fille ça sent bon, c’est doux, c’est propre.
  • Ah ouais, j’étais bourré.
  • Comme d’hab. T’étais pas bourré avec elle quand même ?
  • Non mais j’étais ailleurs quand même. Comme stone tu vois.
  • Tu vas la revoir ?
  • Non c’était un coup comme ça. Puis elle habite loin. Je peux pas me le permettre.
  • Elle habite ou déjà, je crois que tu me l’as pas dit en fait.
  • Belgique.
  • Ah comme ma soeur.
  • Je nous reprends des bières et des shooters.

J3 – 02H30 

Cette fois on vomit en parallèle. Faut dire que on a bien enchainé. Enfin d’aussi loin que je m’en souvienne. Je crois qu’au 8ème tour de pinte plus shooter j’ai perdu le compte. Entre deux spasmes j’arrive à dire à Tom :

  • on se choppe un kebab en rentrant quand même ? Là faut vraiment que j’éponge.
  • non manger c’est tricher.

J4 – 15H00

J’émerge et j’ai mal au crâne. Pas de bruit dans l’appart. Tom m’a laissé un mot sur le canapé : “Je suis chez ma reum”. Je vais prendre une douche.

J4 – 15H30

SMS de la soeur de Tom : “ça va Max, c’était cool ce WE. Je crois que j’ai fait une connerie sur fb 🙂 bisous “.

Oh putain…

J’ouvre Facebook. Elle m’a posté un message en public sur mon mur : “c’était bien ce WE. Vivement que tu reviennes à Bruxelles.”

Y a déjà 15 commentaires. Sa cousine dit que “c’est mimi 🙂 “. 

Je lui envoie un SMS : “mais pourquoi tu as posté ça en public ?”

SMS de réponse : “Tu sais je suis nulle avec ces trucs là. Je me suis ratée. Désolée. ^^ “

La porte de l’appartement s’ouvre, Tom a les yeux noirs.

Hugo délire

Cette année je me suis mis en tête de faire des concours de nouvelles. En janvier il y avait un thème le hasard fait bien les choses. Et du coup je me suis inspiré d’un fait réel arrivé à Hugo Alonso de notre équipe NaturalPad. Bon avec cette nouvelle j’ai bien conscience que j’écris un peu souvent sur le même thème et que je m’inspire beaucoup de mon quotidien.

Hugo dégouline. La boîte allait mal et il était à sec. Avec deux ans de découvert, parce que bien sûr les clients ne payent jamais dans les temps, que les subventions subissent toujours d’inattendus retards administratifs, l’équipe avait pris l’habitude de ne pas se payer complètement et d’avancer les frais. Tout le monde faisait toujours plus d’effort pour ne pas plier. C’est dur de fermer une boîte, d’accepter l’échec. Souvent on s’enlise dans cette demie mort ou on croit qu’on touche le fond mais y a toujours un sursaut d’espoir qui vous maintient un peu en vie, juste un peu plus longtemps, juste pour agoniser un peu plus lentement, faire durer le supplice.

Il avait accepté de s’improviser commercial et d’aller au feu. Des semaines qu’il enchaînait démos sur démos. La décision avait été collégiale en réunion d’équipe. On est à court d’argent mais on a un produit, il faut aller le vendre ! Une fois qu’on a dit “il faut”, il reste que quelqu’un doit concrètement le faire. Et là, la décision est déjà moins collégiale. C’est à la bonne poire qui est prêt à faire ce sacrifice. 

Sans argent, c’est la tournée des hôtels miteux et des transports pas cher. On est loin de la famille, on est loin de l’équipe. On vit toutes les tensions à distance par téléphone ou messagerie, une solitude connectée surplombée de doutes.

Y a quoi de pire que Paris et ses transports ? Paris sous la pluie ! Sous le porche de l’EHPAD, le rideau de pluie face à lui est en train d’achever Hugo. Il a fini sa démo : un enfer. Déjà, entrer dans un EHPAD, c’est pas un bon moment. C’est surchauffé, ça pue la pisse et tous les regards de zombies se portent sur vous. Des petits vieux sont garés dans l’entrée à attendre le prochaine repas, à ne rien faire pendant des heures. Et Hugo arrive là, l’inconnu qui dérange. Alors certes, il n’entre pas non plus direct dans l’unité protégée ou sont détenus tous les alzheimer et autres déments. Mais bon, faut pas se mentir, personne ici n’est au top de sa forme.

Dans la salle d’animation, Hugo commence toujours avec sa petite formule bien rodée : 

  • Bonjour Mesdames, moi c’est Hugo. Je suis désolé, mais je vais vous couper la TV. 
  • C’est qui le Monsieur ?

Ah oui, un EHPAD c’est 90% des femmes. Espérance de vie oblige. Même côté soignants, qu’on le veuille ou non, c’est un métier genré, aides soignantes, infirmières, animatrice… On pourrait croire que les rares papis qui restent sont comme des coqs en pâte au milieu de toutes ces femmes. A être convoités, choyés, calinés… Ils sont au coeur des querelles et n’ont pas vraiment le droit d’avoir de la libido. Imaginez que votre papy couche avec n’importe quelle mamie… Moi perso je m’en fous, tant qu’ils se font du bien et qu’ils sont consentants. Mais voilà, pour le personnel c’est plus compliqué. Si la famille venait à l’apprendre ? Et comment juger du consentement quand il y a démence ? Les cas de maltraitance à la douche froide sont courants. Il ne fait pas bon pour un résident d’EHPAD d’avoir une érection au moment de la toilette.

Hugo, au milieu de toutes ces femmes, il est l’objet de toute l’attention et de tous les fantasmes. Combien de fois il s’est fait attraper la main, embrasser à la volée ou palper les fesses ? Les techniques des mamis pour voler un bisous sont impressionnantes.

  • Monsieur, venez ici j’ai quelque chose à vous dire.

Vous vous approchez lentement pour vous tendre l’oreille à cette petite voix faible et tremblante et paf. La vieille vous colle un patin et se marre.

  • Je l’ai eu ! Je l’ai eu !

Mais cette fois, ce n’est pas un viol qui a choqué Hugo. Il branchait son matos efficacement, bim un câble HDMI, bim le capteur de mouvement au dessus de la TV, clac-clac les deux alimentations sur le secteur. Hop on appuie sur le bouton démarrer et ça déroule. Il est prêt.

Plus qu’à attendre l’animatrice. Au premier rang, il y a une petite mamie en fauteuil roulant qui n’a pas bougé depuis le début. Deux autres s’approchent et la regardent de haut. 

  • Dégages !

La petite mamie en fauteuil se tord pour s’enfoncer dans son fauteuil sans lâcher les deux autres de son regard effrayé. Vlan, l’une des deux lui envoie une série de coups de pieds dans le tibia. La petite vieille en fauteuil appelle à l’aide. Sérieux, Hugo ne sait pas quoi faire. Il est figé sous le choc. Avec les cris, l’animatrice arrive. 

  • Voilà voilà j’arrive. Rho Madame Michon, encore en train d’appeler à l’aide pour rien.

Et l’animatrice tire le fauteuil de Madame Michon et l’emmène ailleurs.

  • J’arrive de suite.

Les deux vieilles tirent des chaises et s’installent à la place de Madame Michon.

  • Alors, c’est qui qui commande hein ?

Hugo s’est senti comme au collège quand il était en 6e et que les 3e venaient tabasser les plus jeunes pour le plaisir. Un mauvais moment de totale impuissance à passer. 

L’animatrice revient et le sort de son cauchemar. Il enchaîne la démo. Faire jouer des seniors à des jeux vidéo ça a quelque chose de magique. C’est improbable mais ça marche. Ils ont le sourire. Ils s’applaudissent, se challengent. Le fait que ce soit basé sur le mouvement, sans manette, ça rend l’interaction facile, à leur portée. C’est parfois confusant surtout quand l’animatrice essaye de leur expliquer : 

  • vous voyez le bateau là, c’est vous et il faut aller chercher les pièces. Non n’avancez pas, c’est juste avec la main.

Forcément, il y en a avec lesquels c’est plus dur, mais globalement, ce moment là se passe toujours bien. Les seniors ne comprennent pas toujours tout mais ils font quelque chose de différent et on s’occupe d’eux. Et c’est ça qui compte le plus. La stimulation d’un lien social.

  • Franchement, je suis surprise. Je vous ai fait venir parce que je trouvais l’idée incroyable. Mais là, je suis vraiment étonnée que ça marche. 

Yes, Hugo c’est une réussite, ça sent la vente. Tu gères !

  • Bon et alors, ça coûte combien votre machin ?

Les EHPAD manquent toujours d’argent. Pourtant les groupes qui les gèrent ont une croissance à deux chiffres. 

L’orage s’intensifie. Hugo a froid et l’estomac qui crie. Il aurait pas dû sauter ses repas aujourd’hui encore par économie. Il a tellement froid que sa main lui fait mal. Souvenir d’une fracture du connard liée à une histoire d’amour qui a mal finie et une façon aussi de lui rappeler qu’il vieillit. La double peine. Il fait craquer ses doigts et range sa main dans sa poche. D’habitude, dans Paris il fait tout à pied. C’est moins cher, c’est joli et une bonne façon de faire du sport. Mais là sous la pluie, non il le sent pas du tout. Il tente un Uber. Sa carte passe pas. 

Bon ben quand faut y aller. Il marche sous la flotte jusqu’au métro. Plus de tickets, pas de liquide et la carte ne passe toujours pas. Ca craint. Il est à 45 minutes de marche de la gare d’après son téléphone. Et son train est dans une heure. Faut pas traîner.

L’eau ruisselle sur ses joues. Mélange de pluie et de sueur, il a presque envie de pleurer. Il a cette sensation de glisser de plus en plus dans la merde. Son cerveau commence à chercher le pourquoi du comment. C’est jamais le bon comportement. Quand on tombe dans une fosse à purin on cherche à en sortir le plus vite possible, pas à comprendre comment on en est arrivé là. Son sac imbibé d’eau est lourd et il a mal au dos. Déjà d’habitude le matériel pèse, mais avec la pluie c’est bien pire. Il commence à envisager le pire et se demander ce qu’il va faire s’il rate son train. Personne sur Paris pour l’héberger. Il pourra pas se payer d’hôtel à moins qu’il demande encore de la thune à son père. A 34 ans ! la pluie lui fouette le visage, il a mal au ventre, envie d’aller pisser, de gerber, se vider. Il a la tête qui tourne et il ne respire plus. L’angoisse l’étouffe, il est passé en apné et il s’imagine en train de crever sur un trottoir sale de Paris. Il s’arrête, se penche en avant, ouvre sa veste, ses mains sur les genoux et essaye de respirer. C’est mort il aura pas son train. 

  • Monsieur ? Monsieur ?

Une voiture s’est arrêtée à sa hauteur.

  • Vous allez où Monsieur ? Mon client propose de vous déposer.
  • Merci beaucoup. Vous me sauvez la vie. Je suis désolé de tremper votre voiture.
  • C’est rien Monsieur, ça séchera. C’est bon pour Gare de Lyon, on y sera dans les temps.

Le client à l’arrière lui parle mais il ne l’écoute pas vraiment. Il le connaît mais ne voit pas qui c’est. Il cherche.

  • Julien Lepers ! Vous êtes Julien Lepers !
  • Ahah. Animateur vedette du troisième âge, j’ai présenté l’émission question pour un champion de 1988 à 2016, je suis, je suis ?
  • Julien Lepers
  • C’est bien moi. Mais vous n’avez pas répondu à ma question. Vous faites quoi vous dans la vie ?

Hugo lui raconte tout. L’idée, les jeux vidéo basés sur la capture de mouvement pour faire de l’activité physique, l’impact sur la santé, sur le lien social, la boîte, les difficultés, le marché très long à conquérir, l’envie d’aller au domicile aider les seniors à vieillir chez eux plutôt que en EHPAD. Julien l’écoute et décide de l’aider. Il prend son téléphone et fait une vidéo sur la banquette arrière du Uber ou il ne dit que du bien sur Hugo, sur sa boîte et son projet, comme quoi tout le monde devrait jouer à ses jeux, que ça va sauver la vie de millions de seniors et que l’état devrait soutenir. Honnêtement, c’est pas un geste fou, avec du recul ça sonne même un peu bullshit, mais à ce moment là, c’est tellement pour Hugo. 

Le portable et le laptop de Hugo sont morts, noyés. Mais il s’en fout, grâce à Julien, il a eu son train et il est rentré chez lui. Il est sec au chaud et dans son lit. 

Quand Hugo arrive au bureau le lendemain c’est l’euphorie. Lui est un peu gêné parce que sans son réveil il a dormi plus que prévu. Mais ses collègues, ceux qui ne sont pas débordés croulant sous les appels téléphoniques l’accueillent comme le messi.

  • Mais mec comme t’as assuré avec Julien Lepers. Sa vidéo a fait le buzz. Notre site web est saturé, une tuerie ! On est full commandes là on sait pas comment on va faire. C’est trop bien.

Et déjà la star a un planning tout prévu pour lui.

  • On t’a organisé un rendez-vous avec la région et BPI pour de la grosse subvention cette après midi. 
  • Tu repars jeudi sur Paris pour aller voir un fond. 
  • Demain tu as un call avec le directeur d’un groupe d’établissements au Canada. 
  • Mec, on est bientôt riche !

Hugo sourit légèrement mais ne peut s’empêcher d’avoir comme un doute.

Premier Vampire

Début novembre, c’est parfait pour poster un texte un peu sombre non ? Une histoire de vampire par exemple. Ce texte est un élément de Background pour un personnage imaginé pour une série de comics. La même série que pour les cavaliers de l’apocalypse. C’est volontairement très violent avec comme sources d’inspiration Carrion Comfort et American Vampire.

C’est l’histoire d’un jeune homme de 14 ans qui vivait seul avec sa mère dans une grotte.

Elle avait préféré s’éloigner de sa tribu pour le mettre au monde.

Elle avait préféré aussi ne jamais les rejoindre.

Au début, c’est elle qui subvenait à leurs besoins et, avec le temps, c’est lui qui prit le relais. Il était doué à la chasse.

Un jour, près d’un lac, il vit une jeune fille en train de nager. Il l’aima instantanément. Elle le vit, lui sourit et il s’approcha d’elle. Elle ne le repoussa pas, au contraire, elle lui montra comment faire l’amour. Ce fut probablement le meilleur moment de sa vie.

Mais celui-ci fut de courte durée. Alors qu’il savourait encore cet état de bien-être, il vit les autres mâles s’approcher d’eux souriant. Plus ils se rapprochaient plus il eut l’impression d’être enfermé dans un piège. Elle dormait prés de lui. Il la réveilla mais elle ne partageait pas sa peur. Au contraire, elle fit des signes aux autres mâles. Il prit peur et partit l’abandonnant.

Il rentra sans sa grotte et se réfugia dans les bras de sa mère qui l’apaisa. Mais ce calme fut de courte durée.

Ils l’avaient suivi et entrèrent dans la grotte, plusieurs mâles. Le plus âgé projeta le jeune homme à terre d’un revers de la main.

Il s’assit sur lui et lui tint les cheveux, bloqué, pendant que les autres, les jeunes, perdaient leurs virginités les uns après les autres sur sa mère.

Quand ils eurent fini, le vieux s’approcha de la mère et lui brisa la nuque d’un coup de talon derrière la tête.

Ils le tabassèrent au sol puis partirent et le laissèrent pleurer le cadavre de sa mère.

Il erra pendant des jours et des nuits autour du campement de la fille. Les jeunes lui lançaient des pierres et elle, elle aimait se faire prendre aux yeux de tous.

Une nuit, il vit un troupeau de bisons. Éloigné du troupeau, un vieux bison semblait au ralenti. Il meuglait de temps en temps de façon lancinante et plaintive. Le jeune homme se dit qu’il devait être blessé et qu’il valait mieux l’achever. Il s’approcha de lui discrètement. Le sang coulait légèrement du dos au flanc du bison. Il but quelques gorgées de sang au contact de la bête. Se redressant, il repéra l’auteur de la blessure du bison : une chauve souris était plantée entre les deux omoplates de la bête et se nourrissait.

Le bison tomba sur ses pâtes. La chauve souris se décrocha et reprit son vol. Il la regarda tournoyer et disparaître dans le noir.

C’est à ce moment qu’il la senti se fixer entre ses omoplates. Il n’eut même pas le réflexe de se débattre et tomba à genou puis face contre terre.

Je n’ai pas vraiment mal mais je ne peux plus bouger. Il fait un peu froid.

Il se réveille de jour, affamé. Sa vue est trouble et rouge. Il a des mirages, tout est flou, le soleil est insupportable. Pourtant il ne pleure pas. Ses yeux sont secs. Il s’abrite a l’ombre, cherchant l’obscurité pour attendre la nuit.

La nuit finit par arriver et la faim est encore plus grande. Il sait ou se nourrir, et il en lèche ses canines d’avance. Au campement, le feu est allumé mais tout le monde dort. La sentinelle est assoupie. Elle dort près du vieil homme.

Il le tue en lui brisant la nuque, d’une main, sans aucun effort. Il ne se connaissait pas une telle force mais il apprend à la connaître. Il se place sur elle et lui contraint la bouche fermée de sa main. elle se réveille, gémit, se débat et pleure. Il est bien trop fort pour elle, pour eux tous d’ailleurs. Il pose ses lèvres sur sa nuque et l’embrasse. Elle ne le lâche pas des yeux et semble se calmer un peu. Il plante ses dents dans sa nuque et la boit intensément. Elle se débat un peu mais pas longtemps.

Elle est froide, vide et ne fait plus aucun bruit. Il se relève, son menton et son torse couverts de sang. Il sourit et les contemple endormis. Il se met à rire.

Ils se réveillent tous et le fixent. La pluie se met à tomber. Il disparaît entre deux éclairs.

Ma tablette sur les genoux, je suis en train de taper ces quelques souvenirs sur un blog d’adolescent en prétendant que je suis passionné d’écriture. Tout ça dans la cabine d’un camion de transport bloqué dans un bouchon d’autoroute. Il pleut. J’ai faim. Le chauffeur est bientôt mort.

C’est fou le nombre d’humains que l’on peut hypnotiser, voir galvaniser avec quelques mots bien trouvés. Vive internet, c’est probablement la plus belle invention humaine. Certains critiques me prennent pour un prodige des romans du genre. Je ne fais que raconter ma vie. Et c’est finalement la meilleure couverture pour moi.

Bon je tape les remerciements et je me casse. Marre de l’autoroute, la ville est pas loin. A pied j’y serai avant le lever du soleil.

Vous êtes de plus en plus nombreux à me lire tous les jours. Ça fait vraiment plaisir. N’oubliez pas, si vous avez aimé le tome 1 des aventures vampiriques d’un jeune adolescent à travers les âges, un kickstarter est ouvert pour financer le tournage d’un épisode pilote pour une adaptation TV.

Deinos

Deïnos

Cet été à NaturalPad, on a eu une stagiaire de SupInfogame. Célia Gironnet devait écrire une nouvelle sur le désir.

Après quelques échanges de références, on en est venus à co-écrire.

Grosse référence à Gunnm.

Deïnos – un désir inachevé

Deïnos habitait un vieil appartement au cœur de la banlieue du bloc #274.

En sortant de l’appartement, il tient un enfant par la main. L’enfant est blond et ses grands yeux bleus sont le reflet de son désir de découvrir le monde, partir d’ici loin de la décharge.

Deïnos est de taille moyenne, a les cheveux noirs bouclés, une barbe pointue poivre et sel mal taillée et des yeux noirs. Ils descendent les trente étages qui les séparent du sol et prennent un taxi. Sur le chemin, l’enfant compte les voitures de police qu’ils croisent, fonçant à toute vitesse dans le sens opposé. La porte était restée ouverte et un voisin a dû entrer dans l’appartement. La route sera longue. L’enfant découvre les rues du bloc, lui peut se remémorer toute cette histoire.

Le bloc #274 était réputé comme étant la plus grande zone industrielle cybernétique de toute la région. C’est au centre qu’avait lieu toute la production. La banlieue, elle, servait de dépôt pour tous les déchets provenant des usines. Entre les bâtiments d’une cinquantaine d’étages, des zones entières où s’amoncelaient débris mécaniques, électroniques ou humains. Toute sorte de trafics s’organisaient autour de ces zones : les habitants étaient pour la plupart désœuvrés, pauvres et cohabitaient avec la crasse et la vermine. Beaucoup n’avaient pas la chance d’avoir un appartement et dormaient à même la rue. Pour survivre, certains fouillaient ces zones à la recherche de pièces encore utilisables dans l’espoir de pouvoir les revendre au marché noir.

Deïnos vivait seul chez lui. Ses revenus lui permettaient de vivre convenablement, sans excès. Il était mécanicien. La plupart du temps il réparait ce qu’on lui apportait : robot ménager, simulateur de réalité virtuelle, et une kyrielle d’autres objets cybernétiques indispensables, certains même peu avouables. Il allait tous les jours à la décharge récupérer des pièces sur des objets jetés. Ce qu’il aimait surtout, c’était la biomécanique, les cyborgs.

Il aimait le mélange de la chair humaine, chaude et malléable avec la dureté et la froideur du métal. Trifouiller les organes, naturels et artificiels, ça, ça le passionnait. Mais il lui manquait quelque chose ; un objectif, un projet, un accomplissement. Deïnos était en vérité un homme malheureux. Il était introverti, il ne savait pas communiquer et il n’était pas sûr de vouloir le savoir. Il n’avait ni ami, ni famille, ni amour, et il n’avait pas souvenir d’en avoir déjà eu. Pourtant, son désir était de transmettre ce qu’il savait, toutes ces connaissances accumulées, tout ce savoir. Il lui fallait quelqu’un à qui l’enseigner : il voulait un enfant. Pour pouvoir se reproduire, il était prêt à dépasser son handicap social, il allait trouver une femme.

Élever un enfant dans cette banlieue n’était pas chose aisée. Aucune structure ne prenait en charge leur éducation qui revenait intégralement à la charge des parents. Un enfant revenait cher et la plupart finissaient par être refourgués au marché noir pour que leurs organes soient vendus. Souvent, ils finissaient comme esclaves sexuels ou servaient à récupérer du matériel dans les endroits les plus exigus de la décharge. Mais Deïnos avait confiance, s’il avait un enfant, pour rien au monde il ne le vendrait, et il lui apprendrait à survivre dans cet univers cruel.

Des femmes, il y en avait beaucoup dans les rues du bloc #274. Des prostituées, des mendiantes, des miséreuses mais aussi des travailleuses, acharnées, revanchardes, qui survivaient à force de volonté et qui rêvaient de s’en sortir. Des rêveuses, oui, c’est bien le meilleur terme pour les nommer parce que personne ne sort vraiment de la décharge. Quand on habite à la décharge, on est un déchet pour la vie. On a beau essayer d’avoir la classe, bien se saper et avoir des goûts de riche, c’est du fiel qui coule dans nos veines. Deïnos avait conscience de ça. Il était de la décharge, pourri de l’intérieur, et il trouverait à la décharge une femme tout aussi pourrie de l’intérieur.

Pourtant, il n’avait jamais osé aborder l’une d’entre elles. « Démarrer une conversation est probablement ce qu’il y a de plus difficile », cette pensée le rassurait. Une fois qu’il saurait faire le premier pas, le reste viendrait tout seul.

Tous les soirs il se rendait au bar de la décharge, juste en bas de chez lui. C’était un vieil établissement. L’alcool avait des vapeurs d’essence et coûtait un bras. La clientèle comprenait un échantillon de poivrots, voyous, voleurs, et petites frappes qui arpentaient les rues, harcelant mendiants et prostituées. Mais ce bar abritait un trésor. Sibelle, la serveuse, portait fort bien son nom. Elle était considérée comme la plus belle femme non cybernétique de la région. Elle avait des cheveux blonds qu’elle regroupait en chignon. Des mèches folles tombaient devant ses grands yeux bleus rieurs. Elle ne cessait jamais de sourire. Les premières fois il ne la considéra que comme un outil, la femme idéale pour procréer. Et puis, petit à petit, il s’y attacha. Il l’observait naviguer d’un pas léger entre les tables, fasciné par le mouvement de ses hanches. Il se surprit même à devenir jaloux de ceux auxquels elle souriait. Un soir, il s’était décidé, il allait le faire. Il avait mis ses plus beaux habits, avait taillé sa barbe et ses cheveux et apportait un bouquet de fleurs synthétiques de première qualité. Arrivé au bar, il se dirigea directement vers elle et lui tendit les fleurs d’une main hésitante. Elle les accueillit avec un sourire et rougit. Il passa une partie de la soirée accoudé au bar en lui parlant de tout et de rien, il ne pouvait plus s’arrêter. Elle riait à ce qu’il lui disait tout en servant les clients. Quand Il sortit, il avait un sourire éclatant sur le visage. Il avait parlé à une femme.

Malheureusement pour lui, Deïnos était attendu au coin de la rue. Ivres, ils tenaient des planches de bois et des barres de fers ramassées dans la décharge. Apparemment, son bouquet n’était pas du goût de tout le monde. Le chef de la bande était un habitué du bar, il considérait la serveuse comme sienne et voulait couper court au désir ridicule de Deïnos. Et ridicule, Deïnos l’était sûrement, baignant dans son sang après qu’il ait été piétiné. Ses agresseurs avaient particulièrement insisté sur son entrejambe, comme si ils avaient voulu briser tous ses espoirs de reproduction.

La douleur le réveilla. Allongé dans une ruelle derrière le bar, les vêtements gorgés de sang, il ouvrit difficilement les yeux. Sibelle était penchée sur lui. Choqué et honteux, il la repoussa d’un geste brusque, se releva en titubant, fit quelque pas sans se retourner pour s’effondrer à nouveau quelques mètres plus loin dans une autre ruelle. Il se réveilla avec le soleil, du sang séché autour de la bouche. La rue grouillait déjà de monde. Personne ne l’avait remarqué, après tout, ce n’était qu’un déchet de plus. Il se traîna le long des façades d’immeubles, prenant appui à chaque pas, jusqu’à son appartement. Deïnos se coucha et resta allongé un long moment. Ses pensées étaient amères et son corps le lançait en permanence, lui rappelant ce qui s’était passé la veille. Il prit une grande décision ce jour-là, il créerait seul sa descendance.

Il revenait chez lui le sac rempli de pièces rares qu’il avait trouvées dans la décharge. Il savait où chercher. Il les testait et quand une pièce était en bon état il l’intégrait dans l’œuvre de sa vie : sa descendance. Il s’était mis en tête de créer un être à son image, un prolongement de lui-même. Il voulait, à travers cet être, prolonger sa propre existence.

Il y passa toutes ses nuits, allant à la décharge le soir, tard, récupérer des pièces. Etant bio-mécanicien, il n’eut pas de mal à faire la coque, un peu de ferraille, un peu de chair. Des cyber-cerveaux, il en avait déjà monté. Au bout de seulement quelques mois, il put l’activer. En face de lui l’automate ouvrit de grands yeux et examina chaque recoin de la pièce, il ne parlait pas ou s’exprimait seulement par onomatopée. Il observait son créateur pendant que celui-ci continuait son travail. L’activation du robot avait redonné un élan de joie à Deïnos, il se sentait heureux et travaillait sans relâche. Tout en bricolant, il apprenait les rudiments du langage à son chef-d’œuvre. Bientôt, l’armature complète fut terminée et le robot prononçait quelques mots. C’était un esprit d’enfant dans un grand corps. Son rêve s’accomplissait. Ce avec quoi il eut le plus de mal fut la peau et les cheveux. Ils devaient être strictement identiques aux siens. La pigmentation s’avéra difficile, il dut utiliser une greffe de sa propre peau, associée à de la pâte synthétique pour obtenir le résultat qu’il désirait. Après plusieurs essais, l’automate avait enfin son aspect définitif. Il termina son œuvre, rajoutant chaque grain de beauté, chaque cicatrice aux endroits qui convenaient, puis il recula et admira son fils.

La création du robot lui avait pris en tout un peu moins d’un an. Celui-ci lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Pour ce qui était des capacités physiques, Deïnos avait veillé à ne prendre que des composants d’exception. Il avait ainsi créé un robot surpuissant et quasiment indestructible.

Il se mit à tout lui apprendre. L’automate sut lire et écrire au bout de seulement deux mois. Il apprit également les sciences, mais aussi l’art, l’histoire et la politique. Ce que ne savait pas Deïnos, l’automate l’apprenait au travers d’ouvrages téléchargés sur le réseau. L’automate était heureux, au début, il aimait apprendre. Mais Deïnos lui, devait continuer son travail de réparateur pendant la journée et son fils restait dans la partie privée de l’appartement quand les clients arrivaient. Dans un premier temps, les livres et le réseau lui suffirent lorsqu’il était seul. Mais il dévorait ces ouvrages à une vitesse inimaginable pour un humain et il n’eut vite plus rien à lire. Sur le réseau il faisait des rencontres, il discutait et ça lui donnait envie d’avoir un contact, un vrai rapport physique avec la personne et surtout, d’aller à l’extérieur voir le monde. Il se mit à regarder les gens par la fenêtre et écouter les bruits de la rue, les alarmes, les cris, la violence. Sa vue lui permettait de voir avec suffisamment de détails ce qui se passait en bas. Regarder par cette fenêtre et imaginer sa vie dans la rue devint son occupation principale. Il voyait Deïnos aussi, chaque fois qu’il devait sortir chercher une pièce à la décharge il passait dans son champ de vision. Et il repéra vite son comportement étrange, chaque fois qu’il passait devant le bar de la décharge. Il s’arrêtait pendant quelques minutes à distance puis repartait. Le robot tournait en rond dans l’appartement. Au bout de 6 mois, il avait atteint la maturité d’un enfant de douze ans, et il commençait à tenir tête à son père. Il se mit à réclamer le droit de sortir. Il était bien sûr impensable qu’il sorte de jour, ayant exactement le même physique que Deïnos. Celui-ci finit cependant par lui céder le droit de sortir la nuit. Après tout, son fils était solide. Quelques mois passèrent encore et le fils de Deïnos gagnait en maturité et en savoir. Ses sorties nocturnes le confrontèrent à la violence du bloc #274 et il apprit à se battre. Cette violence le comblait. Pendant un temps, elle lui permit de remplir le vide qu’il ressentait : quelque chose qu’il sentait chez son créateur mais que lui n’avait pas. Deïnos continuait d’améliorer son protégé. Il se débrouillait toujours pour trouver des pièces de rechange de meilleure qualité. Les séances d’entretien de son fils étaient, avec les cours qu’il lui prodiguait, ses rares moments de proximité. Dès que possible, son fils fuyait arpenter les rues. Deïnos tentait de discuter avec lui mais se faisait rembarrer sans aucune forme de politesse. Quelque chose clochait. Il ne savait pas quoi et il était incapable de converser avec son fils. Une nuit, alors que celui-ci était sorti, Deïnos fouilla sa chambre. La maison n’était pas grande mais il avait aménagé une partie de son atelier pour en faire une petite zone d’intimité pour son fils avec un matelas ; il n’en avait pas réellement besoin mais Deïnos voulait qu’il ait une vraie chambre ; un vieux bureau et une petite bibliothèque. Il fut ému un instant. Et puis, il vit une malle en métal rouillé qu’il n’avait pas apportée. Plus il s’approchait plus il la sentait. Cette malle dégageait une odeur forte, une odeur de mort. Il l’ouvrit et vit son contenu, horrifié. Une collection de cœurs dont certains commençaient à pourrir. Il referma violemment la malle retenant une nausée. C’est à cet instant qu’entra son fils. Il avait les avant-bras couverts de sang. Deïnos était furieux.

– Qu’est-ce que tu fais quand tu sors ? Tu tues des gens ? C’est ça ? Tu es un assassin ? J’ai créé un assassin ? C’est quoi dans cette malle ?

– Mes trophées.

Deïnos ne s’attendait pas à une réponse. Et celle-ci ne le calmait pas.

-Mais pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ?

-Je ne sais pas, je voulais savoir comment c’était un cœur qui bat…

Il s’approche de son père, l’attrape par le cou comme pour l’étrangler et le soulève à bout de bras. Calmement, en le regardant se débattre droit dans les yeux, il lui annonce la simple et dure vérité :

– A quoi tu sers? Tout ce que tu sais je le sais. Tout ce que tu fais je le fais et en mieux. Tu es vieux, diminué, gras et déprimé. Tu ne sais pas vivre. Tu me dégoûtes. Je souffre que tu m’aies mis au monde et qu’il y ait de toi en moi. Je refuse de te ressembler et toute ma vie je me définirai par opposition à ce que tu es. Je ne connais ni le désir ni l’amour mais grâce à toi je connais le dégoût, la haine et la rage.

Il se souvenait de la première fois qu’il l’avait fait. C’était la troisième fois qu’il sortait. La première sortie avait été agréable. Il se sentait libre et se mit à courir dans les ruelles, c’était une nouveauté pour lui d’avoir autant d’espace. La deuxième nuit, il y était allé plus doucement et avait observé ce qui se passait autour de lui. Il avait vu des hommes qui titubaient, des femmes en tenue légère qui tentaient de l’aborder ou certains qui dormaient à même la rue, il était curieux, mais n’avait pas osé les approcher. La troisième nuit, par contre, il avait eu droit à un contact. Dans une ruelle, il avait entendu les plaintes d’une femme et s’était approché. Elle n’était pas seule. Un homme était sur elle et allait et venait entre ses jambes. Il resta là à observer un temps. Mais la femme finit par le voir et, prise de honte, se couvrit. L’homme remonta son pantalon et s’approcha hargneux.

– qui t’es toi ? Qu’est-ce que tu fais là ? Casses-toi.

Et l’homme se mît à le pousser. Sauf qu’on ne déplace pas si facilement un robot. Et là, ce robot venait de voir une chose qu’il ne comprenait pas : l’acte de reproduction. Il remarqua que les veines de l’homme étaient gonflées et battaient au rythme de son cœur. Et cet organe, il l’entendait battre. Et battre de plus en plus fort. Il n’avait même pas remarqué que la femme s’était levée et rhabillée et qu’à son tour, elle le bousculait et lui hurlait dessus. Et il eut envie de faire taire ce cœur. En un mouvement, il arracha le cœur de l’homme. Puis il attrapa la femme par le cou alors qu’elle était épouvantée. Il voulut la ramener près de lui mais lui brisa le cou. Il avait alors un légume, un être inanimé dont seuls les yeux pouvaient encore bouger, exprimant encore tout son effroi. Et le plus beau, c’est que son cœur battait encore. Il prit son temps. Il déchira la chair et écarta les côtes de sa victime pour pouvoir observer l’organe dans son milieu. Le cœur battait sous ses yeux. Les autres organes autour aussi étaient en action mais il ne se concentrait que sur le cœur qu’il regarda ralentir jusqu’à sa mort.

C’est sur ce souvenir qu’il décida de ne pas tuer son père. Il lui brisa la colonne et l’abandonna dans cette condition de légume. Il partit pour le bar de la décharge. Il savait qui était à l’origine du désir de procréation de son père. Il ne lui restait qu’à tuer l’objet de ce désir. Il entra dans le bar de la décharge. Comme toujours, aucune réaction. Ici il n’y a que des déchets. Les rebuts des rebuts de la société. Alors un de plus ou de moins…

Personne ne le remarqua. Il s’avança d’un pas lent jusqu’au centre et regarda autour de lui. Il scanna de ses yeux les gens du bar et fit son choix. Accoudé au comptoir, il y avait ce vieil homme qui fixait son verre. Il s’assit à côté de lui. Le vieil homme se redressa légèrement, saisit son verre et le but d’une traite. Puis, après l’avoir reposé, il se tourna et le fixa de ses yeux humides. Il y avait de la tristesse dans son regard. Un vieil homme en bout de parcours. L’archétype du sage pour qui le temps n’a plus d’importance et qui attend la mort. La mort se tenait devant lui et il l’avait senti. Le robot plaça sa main derrière la tête du vieil homme comme dans un geste de tendresse. Ils se fixèrent et, d’un coup sec, il lui brisa la nuque. Pendant un instant, le corps resta immobile puis le robot enleva sa main et il chut sur le sol avec fracas. A ce moment, la serveuse se mit à hurler et les hommes se levèrent. Une silhouette massive s’avança vers lui :

-J’crois qu’t’as un problème.

Et l’homme décocha un crochet du gauche. Le robot saisit sa main sans effort. L’homme força mais il ne put ni avancer son poing ni s’échapper de sa prise. D’autres approchaient doucement mais n’osaient pas vraiment le toucher. Ils l’encerclaient mais gardaient une certaine distance de sécurité. Le robot plia son poignet et brisa sèchement celui de son adversaire. Il le lâcha et celui-ci s’effondra à genoux en pleurant. L’automate posa alors la main sur son crâne et serra. L’homme hurla jusqu’à ce qu’on entende un énorme craquement. Les autres étaient terrorisés mais n’eurent pas le temps de fuir. Il les chargea avec un grand sourire, dans une furie meurtrière. Il tournoyait au milieu des hommes et des corps. A chaque coup, il perforait un corps de part en part et les cadavres s’amoncelaient sur le sol. Quand sa furie s’estompa, tous étaient morts. Il ne restait plus que la serveuse effrayée, planquée derrière le bar. Sa respiration l’avait trahie. Il plongea sa main derrière le bar, l’empoigna par les cheveux et la souleva. Elle hurlait et se débattait et quand tout espoir l’eut abandonnée, elle se relâcha et se laissa aller à pleurer. C’est là qu’il frappa. Il perfora ses côtes et saisit son cœur. Ses yeux étaient exorbités et sa bouche grande ouverte figée par la douleur. Elle ne pleurait plus. Il ne lui arracha pas le cœur, pas tout de suite. Il le touchait, le sentait battre. Il le caressait même délicatement, détectant chacune de ses irrégularités, appréciant ses faiblesses. Il serra ses doigts et le contraint de plus en plus dans sa main. Il le sentait pousser encore un peu, essayer de faire son travail puis faiblir, abandonner et s’arrêter. Il lâcha la chevelure de la serveuse mais pas le cœur qui s’arracha tout seul sous le poids de la chute du reste du corps. Le cœur à la main, l’automate scruta une dernière fois l’ensemble du bar. C’était beau. Il y avait du sang partout et des corps inanimés. Seules les mouches commençaient à s’agiter. Et puis ce silence. L’automate prenait vraiment son pied. Il avait recherché cet état d’accomplissement, de travail bien fait. Mais en écoutant bien, ce silence cachait une respiration. Une petite respiration faible et discrète. L’automate fit le tour du bar et découvrit une trappe entre deux frigos. Il l’ouvrit et trouva un enfant blond de cinq ans.

L’enfant l’observa tendrement, tendit ses mains pour caresser son visage et finit par sourire. L’automate sourit également et le prit dans ses bras : il allait combler son propre désir de transmission. Il ferait de cet enfant un guerrier parce que la violence, c’est ce qu’il n’avait pas appris de son père. Il allait juste passer chez Deïnos arracher un dernier cœur avant de partir.